Курс французского языка в четырех томах

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Содержание


Pierre daninos.
Fonds celtique et fonds latin
André siegfried.
L'honnête homme
L'esprit de
On lui parlait du savant anatomifte Haller
Après Nanine, qui avait été d'ailleurs un retentissant échec, l'abbé Pellegrin sl'plaignait auprès de Voltaire
Le même jour, Fontenelle' lui faisait un compliment un peu pointu
Léon treich.
Marche-a-terre, le chouan
Mort de gavroche
On est laid à Nanterre
Je ne suis pas notaire
Je suis tombé par terre,C'est la faute à Voltaire,Le nez dans le ruisseau,C'est la faute à...
Victor hugo.
Tartarin de tarascon
Alphonse daudet.
La poignée de main française
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contradictions en lui si nous examinons de près son comportement quotidien
pour dénombrer tous les traits de caractère, toutes les actions qui font de lui le
plus paradoxal
des êtres!

Comment définir ces gens qui passent leurs dimanches à se proclamer
républicains et leur semaine à adorer la Reine d'Angleterre, qui se disent
modestes, mais parlent toujours de détenir les flambeaux de la civilisation,
qui font du bon sens un de leurs principaux articles d'exportation, mais en
conservent si peu chez eux qu'ils renversent leurs gouvernements à peine
debout; qui placent la France dans leur cœur, mais leurs fortunes
à l'étranger (...), qui adorent entendre leurs chansonniers tourner en
dérision les culottes de peau1 mais auxquels le moindre coup de clairon
donne une jambe martiale; qui détestent que l'on critique leurs travers, mais
ne cessent de les dénigrer eux-mêmes; qui se disent amoureux des lignes,
mais nourrissent une affectueuse inclination pour la tour Eiffel; qui
admirent chez les Anglais l'ignorance du «système D»2, mais se croiraient
ridicules s'ils déclaraient au fisc le montant exact de leurs revenus; qui se
gaussent des histoires écossaises, mais essaient volontiers d'obtenir un
prix inférieur au chiffre marqué; qui s'en réfèrent complaisamment à leur
Histoire, mais ne veulent surtout plus d'histoires4; qui détestent franchir
une frontière sans passer en fraude un petit quelque chose, mais répugnent
à n'être pas en règle; qui tiennent avant tout à s'affirmer comme des gens
«auxquels on ne la fait pas»5, mais s'empressent d'élire un député pourvu
qu'il leur promette la lune; qui disent: «En avril, ne te découvre pas d'un
fil», mais arrêtent tout chauffage le 31 mars; qui chantent la grâce de leur
campagne, mais lui font les pires injures meulières , qui ont un respect
marqué pour les tribunaux, mais ne s'adressent aux avocats que pour mieux
savoir comment tourner la loi; enfin, qui sont sous le charme lorsqu'un de
leurs grands hommes leur parie de leur grandeur, de leur grande mission
civilisatrice, de leur grand pays, de leurs grandes traditions, mais dont le
rêve est de se retirer après une bonne petite vie, dans un petit coin
tranquille, sur un petit bout de terre à eux, avec une petite femme qui, se
contentant de petites robes pas chères, leur mitonnera7 de bons petits plats
et saura à l'occasion recevoir gentiment les amis pour faire une petite
belote8*?

PIERRE DANINOS. Les Carnets du major Thompson (1954).

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Примечания:

1. Старый вояка, служака (разг.) Насмешливое прозвище старых генералов.
2. На военном жаргоне: смекалка, умение выпутаться из затруднительного положения
(от debrouiellez-vous). 3. Смеяться, насмешничать. 4. Неприятности, затруднения.
5. Жаргонное выражение, означающее "которых не проведешь". Француз любит воз-
мущаться, отстаивать свои права. 6. Твердый плотный песчаник, идущий на мельнич-
ные жернова и на строительсгво домов; также каменоломня, в которой добывается
это! камень 7. Будет варить, тушить на медленном огне. 8. Карточная игра, популяр-
ная во Франции.

Вопросы:

* En quoi consiste l'humour un peu particulier de ce texte? Rapprocher la dernière
phrase de certain passage du texte:
"Blessés en 14 —18" )

FONDS CELTIQUE ET FONDS LATIN

Les Français ne sont pas, comme ils l'affirment parfais inconsidérément, une
race Satine, mais une civilisation, où le fonds latin tient une place essentielle.
ANDRÉ SIEGFRIED a marqué le double apport des Celtes et des Latins dans la
formation du génie français.


L'esprit français révèle immédiatement, quand on le considère, deux
tendances contradictoires, l'une rejoignant Sancho1 et l'autre Don
Quichotte.

Il y a d'abord une tendance pratique et même terre à terre, qui s'exprime
surtout dans le tempérament et le comportement traditionnel du paysan.
L'origine en est, je crois, principalement celtique, car le Celte, même
erratique2, poète ou fantaisiste, est attaché à lafamille, au sol, à tout ce qui
l'enracine dans son milieu. C'est par là que nous nous distinguons
essentiellement des Anglo-Saxons et des Nordiques et c'est dans la vie
privée que ces traits se développent avec le plus de force, car dans la vie
publique il semble qu'il s'agisse d'un autre homme. De ce point de vue,
comme chef de famille, comme membre de cette famille ou comme
individu, le Français témoigne d'un sens étroit de l'intérêt matériel, d'un
goût presque passionné pour la propriété individuelle, au sens romain du
terme (uti et abuli2, oui c'est bien ainsi qu'il l'entend). Dans les affaires
privées, c'est un être de bon sens, possédant à un remarquable degré l'esprit
de mesure: on lui reprocherait presque de ne pas viser assez haut, de se

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contenter de trop peu, car «un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, lui dit
le proverbe, et il le pense. Bref, dans l'existence de chaque jour, c'est un
réaliste, qui a le pied sur la terre et qui ne se paie pas de mots. Les affaires
des Français sont en général bien gérées, du moins quand guerres et
catastrophes ne fondent pas sur eux: leur mobilier est alors bien entretenu,
leur linge en bon état, ce n'est pas chez eux qu'on le raccommode avec des
épingles doubles! Ils n'aiment pas devoir de l'argent, leur budget est en
équilibre, et si les dépréciations monétaires rendent cette saine gestion
impossible, c'est avec une sincère nostalgie3 qu'ils regrettent le temps où
l'on pouvait, même au prix d'un sacrifice, joindre les deux bouts4,
conformément aux règles de sagesse financière qu'ils ont héritées de leurs
pères. Cette sagesse, cet esprit d'épargne, qui frappent l'étranger, sont
susceptibles du reste de devenir étroitesse, provincialisme et même, à un
certain degré, matérialisme. Dans un vieux pays comme le nôtre, où
l'argent est difficile à gagner, n'est-il pas naturel qu'on le défende avec plus
d'âpreté? L'Américain est plus généreux, mais, s'il perd sa fortune, il croit
du moins qu'il pourra, dans l'espace d'une même vie, la regagner. Nous
n'avons pas cette illusion.

Ce n'est là toutefois qu'un aspect de notre caractère, que contredit une
tendance, non moins évidente, vers l'universalisme, l'idéalisme et le
désintéressement.' Rassuré sur ses intérêts et limitant assez vite ses
ambitions à cet égard, le Français libère son esprit par une sorte de
débrayage6 entre l'action et la pensée. Il s'élève alors jusqu'au désintéres-
sement intellectuel, par un processus de dissociation dont seul, je crois, le
Chinois nous fournit dans le monde un autre exemple. Nous dépassons
l'étroitesse nationaliste ou ethnique, pour nous élever à une notion,
proprement humaniste, de l'homme, et c'est par là que notre capacité de
rayonnement, notre faculté de libérer les esprits, d'ouvrir les fenêtres
apparaissent vraiment incomparables. Ce trait, nous l'avons vu, est latin, et
nous le tenons sans doute de la latinité par le classicisme, qui est à la base
de toute notre éducation et vers lequel nous ramène toujours notre instinct
national le plus profond*.

ANDRÉ SIEGFRIED. L'Ame des Peuples (1950).
Примечания:


1. Слуга Дон Кихота Санчо Панса является воплощением трусоватого здравого
смысла, в то время как Дон Кихот символизирует романтический, безрассудный геро-
изм. 2. Непостоянный, склонный к скитаниям. В настоящее время это старинное слово

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слово используется только как геологический термин. 3. Пользоваться и использовать
(лат.).Формулировка прав владельца в римском праве. 4. Ностальгия, тоска по родине
или по прошлому. 5. Сводить концы с концами. 6. Термин автомобилистов: выключе-
ние сцепления. Означает также кратковременную забастовку.

Вопросы:

*Cette double origine du caractère français ne pourrait-ellepas expliquer quelques-unes
des
contradictions mises en lumière dans le texte précédent?

L'HONNÊTE HOMME

Si La Rochefoucauld, Pascal, le chevalier de Mère surtout, se sont appliqués à
définir l'honnête homme, c'est qu'il représente un type achevé du Français du
XVII " siècle, qu'il est l'expression idéale de toute une société.


L'honnête homme a une belle taille, des membres forts et souples, des
gestes aisés, un maintien élégant. Il est apte à tous les exercices de guerre
ou de plaisir, bon cavalier, bon chasseur, adroit à la paume1 à la lutte et à la
nage, musicien et bon danseur, connaissant les jeux de hasard et les
pratiquant sans folie. Le plus grand plaisir de la société étant la
conversation, il connaît à la fois le prix des considérations sérieuses et des
bagatelles bien dites. Modeste en parlant de soi, franc à louer les autres, i!
n'a rien qui le rendrait fâcheux. Il n'est ni querelleur, ni grognon, ni
emporté, ni complimenteur, ni opiniâtre. Il fuit la raillerie médisante, la
bouffonnerie, les petites façons. Il ne joue pas au prédicateur en chambre.
Il ne tire pas l'attention sur lui, il sait écouter et profiter de ce qu'il entend:
il n'élève jamais le ton de la voix pour prendre avantage sur ceux qui ne
parlent pas si haut. Il aime la compagnie des femmes pour ce qu'elle
apporte d'agrément, de finesse, de galanterie subtile. Il est capable de
dessiner un paysage, de lever un plan, d'apprécier la beauté d'une statue,
d'un tableau ou d'une médaille. Il lit tout ce 'qu'il faut lire et sait tout ce
qu'il faut savoir, sans prétendre pourtant rivaliser avec les docteurs et les
savants. Pour lui, la véritable beauté de l'esprit consiste dans un
discernement juste et délicat, inséparable du bon sens. En parlant, il
cherche le mot juste, l'expression exacte, non le faux brillant. S'il écrit, il
ne s'applique pas seulement à plaire par la pureté du style, la vivacité du
tour et les grâces du langage, mais plus encore par la justesse des idées, la
force de la doctrine, l'abondance de la raison. Mais il est loin de toute

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solennité conventionnelle, de toute gravité cérémonieuse à l'espagnole2,
l'expression triviale ne l'effraie pas. Il fait en' public et sans se gêner
quantité de choses que la civilité de notre temps ordonne de faire en
cachette et sans en parler. Rien en lui d'affecté, d'hypocrite, de faux, de
fade, de gourmé :

Cette raison, à laquelle il accorde tant de confiance, n'est pas une simple
puissance d'abstraction et de déduction. C'est la conformité de l'esprit avec
le réel, la faculté dominatrice qui permet de voir clair en soi-même et de
prendre des choses une conscience entière. C'est en ce sens que Racine a
écrit4 que le caractère de Phèdre est ce qu'il a mis de plus raisonnable sur le
théâtre. Il veut dire: de plus vraisemblable, de plus fidèle à la vérité
psychologique, à l'observation du cœur humain. Au fond, l'honnête homme
est un homme qui sait vivre. Mais si le savoir-vivre, sous sa forme
élémentaire, est le talent de se bien comporter en société, savoir vivre est
un art infiniment plus relevé, puisqu'il consiste à mener, de parti pris, une
vie remplie, noble et difficile, avec la parfaite connaissance de ses forces et
le souci qu'elles soient bien employées. Certains disent, sans nuances, que
l'honnêteté est la quintessence, le comble et le couronnement de toutes les
vertus. D'autres unissent le mot à la prudence, à l'honneur, à la foi, à la
droiture, à l'intégrité, à la discrétion. Mère5, qui fut l'ami de Pascal, précise
d'une manière décisive que l'honnête homme se comporte d'une manière
agissante et commode, plutôt qu'en philosophe. En d'autres termes,
l'honnête homme est dans la vie. Il se distingue des autres par le jugement,
par la clairvoyance de l'esprit, par la sérénité du cœur, par la maîtrise de soi
dans la conduite. Capable d'éprouver des passions fortes, il n'a pas
d'inquiétude maladive, il n'est pas de ces désespérés qui vivent aujourd'hui
comme s'ils devaient mourir demain. Par ses lectures, il a acquis du
discernement, de la sagesse, mais plus encore par la pratique des choses et
par la connaissance des hommes, expérience directe, franche, aiguisée*.

PIERRE gaxotte. Histoire des Français (1951).
Примечания:


1. Старинная игра в мяч, предшественница тенниса. 2. Этикет играл весьма важ-
ную роль в отношениях в высшем испанском обществе. 3. Чопорного, надутого.
4. В предисловии к "Федре". 5. Мере, Жорж де (1610 - 1685) французский моралист,
теоретик "благовоспитанности".

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Вопросы:

* Cherchez dans le texte une ou deux expressions particulièrement heureuses qui
pourraient résumer ce portrait.


L'ESPRIT DE VOLTAIRE

Esprit de Voltaire, esprit voltalrien: deux expressions qu'il ne faut pas
confondre... mais qui peuvent s'associer, comme on le verra ci-dessous.
Qui ne sourirait devant l'hiftoire de Voltaire rencontrant au cours d'une
promenade le Saint Viatique et se découvrant avec respeft? Un ami s'étonne:


L'AMI. — Eh quoi! vous vous êtes donc réconcilié .avec Dieu?
VOLTAIRE. — Nous nous saluons, mais nous ne nous parlons pas!
On lui parlait du savant anatomifte Haller1. Il en fit un grand éloge:

VOLTAIRE. — Oh! M. Haller, grand savant, grand philosophe, grand
poète!

UN AMI. — C'est d'autant mieux à vous d'en dire du bien qu'il ne dit que
du mal de vous !

VOLTAIRE. — Après tout, nous nous trompons peut-être l'un et l'autre!

Après Nanine, qui avait été d'ailleurs un retentissant échec, l'abbé Pellegrin sl'
plaignait auprès de Voltaire:


PELLEGRIN. — J'ai retrouvé dans votre tragédie de nombreux vers pris
dans mes pièces! Je m'étonne qu'un homme si riche prenne le bien d'autrai!

VOLTAIRE. — Vous aurais-je volé sans le savoir? Je ne m'étonne plus de
la chute de ma pièce.

Л la première d'Œdipe2, qui avait eu un gros succès, un gentilhomme
s'approcha de l'auteur et familièrement:


LE GENTILHOMME. — Mes compliments. Voltaire!

VOLTAIRE. — Merci, assurément; mais ne pourriez-vous dire: monsieur
de Voltaire?

LE GENTILHOMME. — Oubliez-vous la différence de naissance qui nous
sépare?

VOLTAIRE. — Je ne l'oublie pas. Cette différence fait que je porte mon
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nom, et que vous êtes écrasé par le vôtre!

Le même jour, Fontenelle' lui faisait un compliment un peu pointu:
EONTENELLE. — Mon cher Voltaire, puis-je vous parler en toute sincérité?
VOLTAIRE. — Je vous en prie.

FONTENELLE. — Vous n'êtes pas propre au théâtre. Votre style est trop
brillant, vous avez trop d'esprit.

VOLTAIRE. — Je m'en corrigerai, et, pour commencer, je vais relire vos
œuvres.

// savait en certaines occasions être modeSte. M. de Boisgelin louait la
limpidité de son Style:


«Peuh! fit-il, les ruisseaux ne sont clairs que parce qu'ils ne sont pas
profonds.»

// aimait jouer aux petits jeux. Chez la duchesse du Maine , il proposa un soir
une assez agréable énigme:


Cinq voyelles, une consonne,
En français, composent mon nom
Et je porte sur ma personne
De quoi l'écrire sans crayon.

(Le mot était: oiseau.)

A la mort du philosophe, Catherine II, tsarine, acheta sa bibliothèque; elle y
trouva un cahier manuscrit plein de notes inédites qu'on publia en 1880 sous le
titre: Sottisier de Voltaire. En voici quelques très brefs extraits:


«Nous cherchons tous le bonheur, mais sans savoir où il est, comme'ces
ivrognes qui cherchent leur maison sachant confusément qu'ils en ont
une...» (...)

«Les hommes seront toujours fous et ceux qui croient les guérir sont les
plus fous de la bande...» (...)

«Il y a une différence si immense entre celui qui a sa fortune faite et
celui qui doit la faire, que ce ne sont plus deux créatures de la même
espèce...»

On lit encore dans le Sottisier cette réflexion demeurée d'une si brûla'nte actualité:

« II n'y a point aujourd'hui de nation qui murmure plus que la française,
qui obéisse mieux et qui oublie plus vite*. »

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LÉON TREICH. L'Esprit français (1943)
Примечания:


1. Альфред фон Галлер (1708 - 1777) — швейцарский естествоиспытатель, врач,
поэт (писал на немецком языке). 2."Эдип", первая трагедия Вольтера (1718). 3. Бернар
Ле Бовье де Фонтенель (1657 - 1757) — французский писатель и популяризатор науки.
4. Ремон де Буажлен (1732 - 1804) — французский прелат. 5. Луиза, графиня Мэнская
(1676 - 1753) — супруга Лу Огюста, герцога Мэнского, побочного сына Людовика
XIV. В её салоне в замке Со собирались самые блистательные люди того времени.

Вопросы:

* Cherchez dans ces citations celles qui dénotent l'esprit de repartie; marquez les //oints
sur lesquels cet esprit s'exerce.
Cherchez celles qui vont plus loin dans la connaissance
de l'homme; discutez-les.


MARCHE-A-TERRE, LE CHOUAN

Des hommes de l'ancienne France, le Chouan (nom donné aux insurgés roya-
listes de l'Ouest, en 1794) est un des plus représentatifs. H symbolise
l'attachement ancestral du terrien à la foi catholique et monarchiste, qu'il
défendit farouchement contre les «Bleus», c'est-à-dire les révolutionnaires.
Dans un de ses romans les plus célèbres, balzac a brossé, en la personne de
Marche-à-terre, un inoubliable portrait de Chouan.


Un officier républicain, Hulot, a été chargé d'enrôler des soldats enllle-et-
Vilaine. Il les a fait mettre en marche dans la direUion de Mayenne. Mail les
Jeunes recrues, peu enthousiastes, s'arrêtent souvent en chemin, et cette lenteur
provoque l'impatience de l'officier.


«Pourquoi diable ne viennent-ils pas? demanda-t-il pour la seconde fois
de sa voix grossie par les fatigues de la guerre. Se trouve-t-il dans le village
quelque bonne Vierge à laquelle ils donnent une poignée de main?

— Tu demandes pourquoi?» répondit une voix. En entendant des sons
qui semblaient venir de la corne avec laquelle les paysans de ces vallons
rassemblent leurs troupeaux, le commandant se retourna brusquement
comme s'il eût senti la pointe d'une épée, et vit à deux pas de lui un
personnage encore plus bizarre qu'aucun de ceux emmenés à Mayenne
pour servir la République. Cet inconnu, nomme trapu, large des épaules, lui
montrait une tête presque aussi grosse que celle d'un bœuf, avec laquelle

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elle avait plus d'une ressemblance. Des narines épaisses faisaient paraître
son nez encore plus court qu'il ne l'était. (...) Cette face, comme bronzée
par le soleil et dont les anguleux contours offraient une vague analogie
avec le granit qui forme le sol de ces contrées, était la seule partie visible
du corps de cet être singulier. A partir du cou, il était enveloppé d'un
sarrau, espèce de blouse en toile rousse plus grossière encore que celle des
pantalons des conscrits les moins fortunés. Ce sarrau, dans lequel un
antiquaire aurait reconnu la saye (saga) ou le sayon des Gaulois, finissait
à mi-corps, en se rattachant à deux fourreaux de peau de chèvre par des
morceaux de bois grossièAment travaillés et dont quelques-uns gardaient
leur écorce. Les peaux de bique, pour parler la langue du pays, qui lui
garnissaient les jambes et les cuisses, ne laissaient distinguer aucune forme
humaine. Des sabots énormes lui cachaient les pieds. Ses longs cheveux
luisants, semblables aux poils de ses peaux de chèvre, tombaient de chaque
côté de sa figure, séparés en deux parties égales, et pareils aux chevelures
de ces statues du Moyen Age qu'on voit encore dans quelques cathédrales
(...). Il tenait appuyé sur sa poitrine, en guise de fusil, un gros fouet dont le
cuir habilement tressé paraissait avoir une longueur double de celle des
fouets ordinaires*. La brusque apparition de cet être bizarre semblait facile
à expliquer. Au premier aspect, quelques officiers supposèrent que
l'inconnu était un réquisitionnaire ou conscrit (l'un se disait pour l'autre)
qui se repliait sur la colonne en la voyant arrêtée. Néanmoins, l'arrivée de
cet homme étonna singulièrement le commandant; s'il n'en parut pas le
moins du monde intimidé, son front toutefois devint soucieux; et, après
avoir toisé2 l'étranger, il répéta machinalement et comme occupé de
pensées sinistres: «Oui, pourquoi ne viennent-ils pas? le sais-tu, toi?

— C'est que, répondit le sombre interlocuteur avec un accent qui
prouvait une assez grande difficulté de parler français, c'est que là, dit il en
étendant sa rude et large main vers Ernée3 là est le Maine4, et là finit la
Bretagne.»

Puis il frappa fortement le sol en faisant tomber le pesant manche de
son fouet aux pieds mêmes du commandant (...). La grossièreté de cet
homme taillé comme à coups de hache, sa noueuse écorce, la stupide
ignorance gravée sur ses traits, en faisaient une sorte de demi-dieu barbare.
П gardait une attitude prophétique et apparaissait là comme le génie même
de la Bretagne, qui se relevait d'un sommeil de trois années, pour
recommencer une guerre où la victoire ne se montra jamais sans de doubles
crêpes5.

«Voilà un joli coco6, dit Hulot en se parlant à lui-même. Il m'a l'air d'être

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l'ambassadeur de gens qui s'apprêtent à parlementer à coups de fusil. (...)
«D'où viens-tu?»

Son œil avide et perçant cherchait à deviner les secrets de ce visage
impénétrable qui, pendant cet intervalle, avait pris la niaise expression de
torpeur dont s'enveloppe un paysan au repos.

«Du pays des Gars1, répondit l'homme sans manifester aucun trouble.
— Ton nom? — Marche-à-terre.

— Pourquoi portes-tu, malgré la loi, ton surnom de Chouan8?» Marche-
à-terre, puisqu'il se donnait ce nom, regarda le commandant d'un air
d'imbécillité si profondément vraie, que le militaire crut n'avoir pas été
compris. «Fais-tu partie de la réquisition de Fougères?»

A cette demande, Marche-à-terre répondit par un de ces je ye sais pas,
dont l'inflexion désespérante arrête tout entretien. Il s'assit tranquillement
sur le bord du chemin, tira de son sarrau quelques morceaux d'une mince et
noire galette de sarrasin9, repas national dont les tristes délices ne peuvent
être comprises que des Bretons, et se mit à manger avec une indifférence
stupide**.

H. de balzac. Les Chouans (1820).
Примечания:


1. Военный плащ у галлов. 2. Смерив взглядом с головы до ног. 3. Небольшой го-
родок в департаменте Майен, близ которого остановилась колонна новобранцев.
4 Старинная провинция во Франции. 5. Не приводить к чрезмерным потерям с обеих
сторон. Креп — полоса черной ткани, которую носят в знак траура. 6. Подозритель-
ный тип, "гусь". 8. Diminutif populaire pour: garçons. 9. «Marche-a-terre » n'est qu'un
surnom de guerre. 10. Из гречихи. Полное название: le blé sarrasin или le blé noir, т.е.
сарацинское или черное зерно.

Вопросы:

* Etudiez l'art du portrait chez Balzac, d'après tout ce passage.

** Quelle idée l'écrivain semble-t-il se faire de la Bretagne et des Bretons dams cette
description?


MORT DE GAVROCHE

Nombreux sont les mouvements révolutionnaires qui ont secoué Paris, dans
la première moitié du XIX" siècle. Chaque fois et c'est là un fait remarquable
des barricades s'élevèrent dans les rues de la capitale.


L'émeute de 1832, que décrit VICTOR HUGO dans Les Misérables, peut être considérée
comme une des plus représentatives. Et Gavroche, le Sourire de Paris, créé, ou plutôt
animé par le génie du poète, demeure un type de la littérature française.


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Il rampait à plat ventre, galopait à quatre pattes, prenait son panier1 aux
dents, se tordait, glissait, ondulait, serpentait d'un mort à l'autre, et vidait la
giberne ou la cartouchière comme un singe ouvre une noix.

De la barricade, dont il était encore assez près, on n'osait lui crier de
revenir de peur d'appeler l'attention sur lui.

Sur un cadavre, qui était un caporal, il trouva une poire à poudre.

«Pour la soif»2, dit-il, en la mettant dans sa poche. A force d'aller en
avant, il parvint au point où le brouillard de la fusillade devenait
transparent.

Si bien que les tirailleurs de la ligne3 rangés et à l'affût derrière leur
levée de pavés, et les tirailleurs de la banlieue massés à l'angle de la rue, se
montrèrent soudainement quelque chose qui remuait dans la fumée.

Au moment où Gavroche débarrassait de ses cartouches un sergent
gisant près d'une borne, une balle frappa le cadavre. «Fichtre! fit Gavroche,
voilà qu'on me tue mes morts.» Une deuxième balle fit étinceler le pavé à
côté de lui. Une troisième renversa son panier. Gavroche regarda et vit que
cela venait de la banlieue .

Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les
hanches, l'œil fixé sur les gardes nationaux qui tiraient, et il chanta:,

On est laid à Nanterre5 . '

C'est la faute à Voltaire,
Et bête à Palaiseau
5
C'est la faute à Rousseau6.

Puis il ramassa son panier, y remit, sans en perdre une seule, les
cartouches qui en étaient tombées, et avançant vers la fusillade, alla
dépouiller une autre giberne. Là une quatrième balle le manqua encore.
Gavroche chanta:

Je ne suis pas notaire,

C'est la faute à Voltaire,

Je suis petit oiseau,

C'est la faute à Rousseau.

Une cinquième balle ne réussit qu'à tirer de lui un troisième couplet:

Joie est mon caractère,
C'est la faute à Voltaire,
Misère est mon trousseau,
C'est la faute à Rousseau.


Cela continua ainsi quelque temps.

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Le spectacle était épouvantable et charmant. Gavroche, fusillé, taquinait
la fusillade. Il avait l'air de s'amuser beaucoup. C'était le moineau
béquetant les chasseurs. Il répondait à chaque décharge par un couplet. On
le visait sans cesse, on le manquait toujours. Les gardes nationaux et les
soldats riaient en l'ajustant. Il se couchait, puis se redressait, s'effaçait dans
un coin de porte, puis bondissait, disparaissait, reparaissait, se sauvait.
revenait, ripostait à la mitraille par des pieds de nez, et cependant pillait les
cartouches, vidait les gibernes, et remplissait son panier. Les insurgés,
haletants d'anxiété, le suivaient des yeux. La barricade tremblait, lui.
chantait. Ce n'était pas un enfant, ce n'était pas un homme; c'était un
étrange gamin-fée. On eût dit le nain invulnérable de la mêlée. Les balles
couraient après lui, il était plus leste qu'elles. Il jouait on ne sait quel
effrayant jeu de cache-cache avec la mort; chaque fois que la face camarde7
du spectre s'approchait, le gamin lui donnait une pichenette8.

Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître9 que les autres, finit
par atteindre l'enfant feu follet. On vit Gavroche chanceler, puis il
s'affaissa. Toute la barricade poussa un cri; mais il y avait de l'Antée dans
ce pygmée"; pour le gamin, toucher le pavé, c'est comme pour le géant
toucher la terre; Gavroche n'était tombé que pour se redresser; il resta assis
sur son séant, un long filet de sang rayait son visage, il éleva ses deux bras
en l'air, regarda du côté d'où était venu le coup, et se mit à chanter:

Je suis tombé par terre,
C'est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C'est la faute à...


Il n'acheva point. Une seconde balle du même tireur l'arrêta court. Cette
fois il s'abattit la face contre le pavé, et ne remua plus. Cette petite grande
âme venait de s'envoler*.

VICTOR HUGO. Les Misérables (1862).

Примечания:

1. Корзинка, в которую Гаврош собирал патроны с убитых солдат, чтобы отнести
их повстанцам на баррикаде. 2. Намек на французскую пословицу: garder une foire
pour la soif,
т.е. про запас, на черный день. 3. Линейной (тяжелой) пехоты. 4. То есть
со стороны солдат, подошедших из предместья. 5. Городки в предместьях Парижа.
  1. Великие философы XVIII в. Вольтер и Руссо были яростными противниками
  2. Безносое лицо. Имеется в виду череп, олицетворяющий смерть или Безносую.

8. Щелчок. 9. Aujourd'hui, on dirait plutôt traîtresse. 10. В греческой мифологии титан Антей,
сын Земли, прикасаясь к земле, обретал силы. 11. Пигмеи — низкорослые племена.

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Вопросы:

* Montrez que l'étroite et naturelle association du plaisant et du pathétique est un des
. éléments caractéristiques de ce récit.


TARTARIN DE TARASCON1

ALPHONSE DAUDET, Provençal d'adoption, n'a 'peut-être pas beaucoup flatté
ses compatriotes en créant l'immortel Tartarin de Tarascon. Mais il l'a fait
avec cette gentillesse, cette absence de méchanceté propre aux gens du Midi,
qui savent comprendre la plaisanterie et distinguer le mensonge de la
savoureuse «galéjade».


Tartarin de Tarascon a été pressenti pour aller tenir un comptoir commercial
à Shanghai. Après avoir hésité, le brave méridional est resté dans sa ville natale.


En fin de compte, Tartarin ne partit pas, mais toutefois cette histoire lui
fit beaucoup d'honneur. Avoir failli aller à Shanghaï ou y être allé, pour
Tarascon, c'était tout comme. A force de parler du voyage de Tartarin, on
finit par croire qu'il en revenait, et le soir, au cercle, tous ces messieurs lui
demandaient des renseignements sur la vie à Shanghaï, sur les mœurs, le
climat, l'opium, le Haut Commerce.

Tartarin, très bien renseigné, donnait de bonne grâce les détails qu'on
voulait, et, à la longue, le brave homme n'était pas bien sûr lui-même de
n'être pas allé à Shanghaï, si bien qu'en racontant pour la centième fois la
descente des Tartares, il en arrivait à dire très naturellement: «Alors, je fais
armer mes commis, je hisse le pavillon consulaire, et pan! pan! par les
fenêtres, sur les Tartares.» En entendant cela, tout le cercle frémissait...

«Mais alors votre Tartarin n'était qu'un affreux menteur. — Non! mille
fois non! Tartarin n'était pas un menteur... — Pourtant, il devait bien savoir
qu'il n'était pas allé à Shanghaï!—Eh! sans doute, il le savait. Seulement...»

Seulement, écoutez bien ceci. Il est temps de s'entendre une fois pour
toutes sur cette réputation de menteurs que les gens du Nord ont faite aux
Méridionaux. Il n'y a pas de menteurs dans le Midi, pas plus à Marseille
qu'à Nîmes, qu'à Toulouse, qu'à Tarascon. L'homme du Midi ne ment pas,
il se trompe. Il ne dit pas toujours la vérité, mais il croit la dire... Son
mensonge à lui, ce n'est pas du mensonge, c'est une espèce de mirage2...

Oui, du mirage!.. Et pour bien me comprendre, allez-vous-en dans le
Midi, et vous verrez. Vous verrez tout plus grand que nature. Vous verrez
ces petites collines de Provence pas plus hautes que la butte Montmartre et

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qui vous paraîtront gigantesques, vous verrez la Maison Carrée3 de
Nîmes— un petit bijou d'étagère —, qui vous semblera aussi grande que
Notre-Dame. Vous verrez... Ah! le seul menteur du Midi, s'il y en a un,
c'est le soleil... Tout ce qu'il touche, il l'exagère!.. Qu'est-ce que c'était que
Sparte au temps de sa splendeur? Une bourgade... Qu'Athènes? Tout au
plus une sous-préfecture... et pourtant elles nous apparaissent comme des
villes énormes. Voilà ce que le soleil en a fait...

Vous étonnerez-vous après cela que le même soleil, tombant sur
Tarascon, ait pu faire d'un ancien capitaine d'habillement comme Bravida,
le brave Bravida, d'un navet un baobab4, et d'un homme qui avait failli aller
à Shanghaï un homme qui y était allé*?

ALPHONSE DAUDET. Tartarin de Tarascon (1872).
Примечания:


1. Небольшой городок на левом берегу Роны недалеко от Авиньона. 2. Мираж
3. Знаменитый античный храм в Ниме, построенный в римскую эпоху. Его размеры
около 25 м в длину и 12 — в ширину. 4. Баобаб — африканское дерево, имеющее
очень толстый ствол.

Вопросы:

* Cherchez, dans l'œuvre d'A. Daudet (et plus spécialement dans Tartarin de Tarascon).
d'autres passages où l'écrivain exploite comiquement ce goût de l'exagération propre, dit-il,
aux gens de Provence.


LA POIGNÉE DE MAIN FRANÇAISE

C'est en effet un geste bien familier aux Français, et dont la fréquence étonne
parfois les étrangers. MARC BLANCPA1N, dans ce «billet» d'un journal quotidien,
répond à un lecteur qui déflorait le temps perdu à serrer des mains... et les